Saturday, December 27, 2008

Figure de style


Le profiler tâcha de ne pas laisser paraître son profond dégoût. Il avait beau être docteur en criminologie et en psychologie, même ainsi, il ne parvenait pas à comprendre la monstruosité de certains actes. Il écarta d'un geste les photos du visage de la jeune victime où le rouge prédominait. Gorgeait presque tous les pixels.
"Comment avez-vous pu faire une telle chose ? Pourquoi avoir massacré sa face comme ça ?"
Le profiler sentit comment ses lèvres tremblaient alors même qu'il pensait garder le contrôle. Sous le coup de l'émotion, il avait une voix aiguë, de fausset.
Le psychopathe que la presse avait surnommé le Cruciverbiste partit d'un petit rire, comme s'il goûtait une bonne plaisanterie.
"J'ai testé une figure (il insista sur ce mot en détachant les syllabes, tel un professeur faisant la leçon à un cancre), une figure de style sur elle. Je ne lui avais rien demandé moi, mais quand je l'ai croisée, elle m'a dévisagé.... alors je l'ai défigurée."

Tuesday, December 23, 2008


La Tierra del Dragón : Nicho de Reyes
(tome 1) de Tobias Grumm, Edición Equipo Sirius, 2005 (606 p.) 17x24 cm ISBN: 978-84-96554-337

Il y a quelque chose de pourri au Royaume d’Abisinia !
Elvor, le prince cadet, dévoré par la haine envers son père Theorn, un amour trouble pour sa sœur Irka et une jalousie sans borne à l’égard de l’héritier Galendor, a réveillé les forces de l’Ombre et s’est trouvé parmi elles un nouveau maître de magie. Des terres du Nord condamnées depuis des siècles surgissent des hordes de sauvages monstrueux qui ne sont pas sans rappeler les Pictes d’Howard. Ce qui ne semble au départ qu’une simple expédition punitive contre ces sauvages revêt vite des implications beaucoup plus sinistres… Une intelligence machiavélique est derrière ces attaques, la même qui contrôle désormais Elvor et attise son hubris. Le jeune prince et son éminence grise, grâce à une embuscade, massacrent le roi et accusent Galendor de régicide. Le cruel cadet monte sur le trône pendant que l’héritier s’enfuit en embarquant sur un bateau de pirates.
Ce premier roman de Tobias Grumm est très plaisant à lire. Il se dévore d’une traite et on se montre indulgent face aux imperfections de style, au côté un peu attendu de certaines scènes. On évolue en toute confiance dans un univers médiéval fantastique assez classique, au continent morcelé en Royaumes, aux différentes mers, aux promesses d’aventure et d’évasion… Les rebondissements s’avèrent bien minutés et les nombreux personnages – mêmes secondaires - réellement attachants. Sa toute première qualité réside dans cette faculté à camper des caractères, des attitudes et à brosser des situations avec une grande force d’évocation. Pour couronner le tout, l’ouvrage est particulièrement soigné, s’accompagnant de cartes et de belles illustrations intérieures de Manuel Calderón.
Sans être le roman de l’année et ni la révolution du genre, Nicho de Reyes garantit un très bon moment de détente et laisse le lecteur plus que curieux de voir la suite…
(A noter qu'entre-temps, les tomes 2 et 3 sont sortis)
En guise d'introduction aux chroniques hispaniques

Pour terminer l'année, ou pour bien la commencer... Ou pour Noël, on va dire (je poste pas ça demain, parce que demain j'ai piscine), j'ai décidé après moult hésitations de balancer la purée sur ce que je sais de ces gens-là, là de l'autre côté des Pyrénées, de l'autre côté de l'Atlantique, ces rastacouères et espingouins qui ne parlent pas la même langue que nous... Et pourtant, ils écrivent avec, ça fait des recueils de nouvelles, ça fait des romans bien brochés, avec un beau papier, des numéros de pages même... que certains de ces estrangers ou leurs éditeurs ont pu m'envoyer à l'occasion.
Voilà, à une époque je faisais le "scout" dans le domaine hispanique de l'imaginaire pour une maison d'éditions "de cuyo nombre no quiero acordarme" maintenant en mort clinique.
Sans résultat aucun.
Puis, parce que je suis un acharné dont l'entêtement confine à la bêtise crasse et béate, et que j'y crois, plutôt deux fois qu'une, j'ai étendu l'expérience à d'autres maisons d'édition. J'ai eu des "Ah, ouaif..." des "Euh", une pelleté de "Pas intéressé", quelques "très intéressant, mais reviens en 2010" et... surtout beaucoup de silence.
Un silence assourdissant.
La conclusion que j'en ai tirée, c'est que de toute manière, le monde de l'édition de l'imaginaire en France a mieux à faire que de publier des Carlos Gardini, des Domingo Santos, des Alfredo Alamo, Santiago Eximeno ou autres... Allez zou, un Américain, ça vend bien : collez sur la jaquette : Le nouveau best-seller (2 millions d'exemplaires vendus aux USA).
"Je fais dans le social qu'une fois par an", comme m'a dit une éditrice récemment. Elle a raison, son social, c'est de publier des auteurs français plus ou moins amateurs, quelques pros, sur le mode du : "on fait un appel à textes, on publie le meilleur".
Je peux pas la blâmer, moi aussi je ponds des appels à textes, et je réponds à d'autres, dont les siens parfois, d'ailleurs.
ça revient moins cher de publier un Français, si on veut faire dans le social, que de prendre un Espagnol ou un Chilien qu'il faudra traduire (un trados à payer en plus, bah oui).
La logique mercantile basique veut qu'on fasse ce qui se vend ou a des chances de se vendre et qu'on fasse aussi ce qu'on connaît. Alors bien sûr, si on n'a pas moyen de mieux connaître des auteurs étrangers, on se rabat sur des valeurs sûres anglosaxonnes.
Mais moi, je ne veux pas vous faire connaître du Peter Danger ou du Peter Dean, pseudos utilisés à une époque en Espagne pour vendre, mais bien le Domingo Santos qui se cachait derrière. Parce que le problème est bien là, juger de la qualité d'un auteur à la consonnance de son nom - ça me rappelle d'ailleurs un débat sur les pseudos qui a "agité" le forum de Borderline... Déjà dans les années 60 en Espagne, et ça devait aussi être le cas en France, mieux valait ne pas s'appeler Ramirez ou Dupont pour publier un roman de genre, si on voulait vendre.
Est-ce que cette tendance va changer, va-t-on arriver à faire éclore un peu partout des Aguilera, des Javier Negrete ? Retrouver cette époque où la France esbaudie découvrait Jorge Luis Borges, Gabriel Garcia Marquez et Julio Cortazar en se disant : "Ah oué ? On peut faire ça avec des mots ??"
Franchement, je ne sais pas, mais si au moins les fiches de lecture envoyées à bon nombre d'éditeurs muets ou trop occupés que je vous propose désormais à la lecture peuvent vous donner envie d'en découvrir plus sur les auteurs de langue espagnole de nos genres de prédilection, je me dirais que, peut-être, je ne me serais pas battu contre des moulins à vent sans brasser un peu d'air frais...